Aspect philosophique,

le rapport de l'Homme à la nature

Une collaboration de M. Borotro, professeur de philosophie au lycée Jules Uhry de Creil nous a permis d'avoir une réflexion philosophique. Proposition de textes (retranscrits ci-dessous) et commentaire de réflexions d'élèves ont apporté une réflexion sur le rapport de l'Homme à la nature.

Texte 1. Avons-nous des devoirs envers les générations futures ?

"Un impératif adapté au nouveau type de l'agir humain et qui s'adresse au nouveau type de sujet de l'agir s'énoncerait à peu près ainsi : "Agis de façon que les effets de tes actions soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur Terre" ; ou pour l'exprimer négativement : "Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d'une telle vie"" ; ou simplement "Ne compromets pas les conditions de survie indéfinie de l'humanité sur Terre" ; ou encore, formulé de nouveau positivement : "Inclus dans ton choix actuel l'intégrité future de l'Homme comme objet secondaire de ton vouloir".

On voit sans peine que l'atteinte portée à ce type d'impératif n'inclut aucune contradiction d'ordre rationnel. Je peux vouloir le bien actuel en sacrifiant le bien futur. De même que je peux vouloir ma propre disparition, je peux aussi vouloir la disparition de l'humanité. Sans me contredire moi-même, je peux, dans mon cas personnel comme dans celui de l'humanité préférer un bref feu d'artifice d'extrême accomplissement de soi-même à l'ennui d'une continuation indéfinie dans la médiocrité.

Or le nouvel impératif affirme précisément que nous avons bien le droit de risquer notre propre vie, mais non celle de l'humanité  et qu'Achille avait, certes, le droit de choisir  pour lui même une vie brève, faite d'exploits glorieux, plutôt qu'une longue vie de sécurité sans gloire (sous la présupposition tacite qu'il y aurait une postérité qui saura raconter ses exploits), mais que nous n'avons pas le droit de choisir le non être des générations futures à cause de l'être de la génération actuelle et que nous n'avons pas le droit de la risquer. Ce n'est pas du tout facile et peut-être impossible sans le recours à la religion, de légitimer en théorie  pourquoi nous n'avons pas ce droit, pourquoi au contraire nous avons une obligation à l'égard de ce qui n'existe même pas encore et de ce qui "de soi" ne doit pas non plus être, ce qui du moins n'a pas droit à l'existence, puisque cela n'existe pas. Notre impératif le prend d'abord comme un axiome sans justification".

Hans Jonas, Le principe responsabilité (1979), trad. Greisch, coll. Champs, Flammarion, p. 40.

 

Texte 2. Sacraliser la nature : le danger par excellence

"Instituant la nature en personne juridique, l'écologie profonde en vient bel et bien, lorsqu'elle est rigoureuse, à faire de l'univers matériel, de la biosphère ou du cosmos, un modèle éthique à imiter, par les hommes. Comme si l'ordre du monde était bon en lui-même, toute corruption émanant alors de l'espèce humaine, polluante et vaniteuse. J'ai déjà suggéré qu'un tel romantisme conduisait à renier le meilleur de la culture moderne, qu'il s'agisse du droit, conquis  contre le règne naturel de la force, ou de l'héritage des Lumières de la Révolution Française, gagnée contre l'empire des traditions des évidences "naturelles".

Mais il y a plus : dans l'optique d'une critique interne à laquelle il faut bien en venir, face à ceux qu'anime la haine de la modernité, c'est intrinsèquement que la sacralisation de la nature est intenable. Comme ces fanatiques religieux, hostiles à toute intervention médicale parce qu'ils la supposent contraire aux intentions divines, les écologiques profonds occultent allègrement tout ce qui, dans la nature, est haïssable. Ils ne retiennent que l'harmonie, la paix et la beauté. C'est dans cette optique que certains disqualifient volontiers la catégorie des "nuisibles", jugeant qu'une telle notion, toute anthropocentriste, est un non-sens. S'inspirant de la théologie, ils supposent que la nature est non seulement l'Etre suprême, mais aussi l'ens perfectum, l'entité parfaite qu'il serait sacrilège de prétendre modifier, ou améliorer. Simple question : qu'en est-il alors des virus, des épidémies, des tremblements de terre et de tout ce qu'on nomme à juste titre "catastrophe naturelle"? Dira-t-on qu'ils sont "utiles"? Mais à qui et à quoi ? Jugera-t-on qu'ils possèdent les mêmes légitimités que nous à persévérer dans leur être ? Pourquoi pas dès lors, un droit du cyclone à dévaster, des secousses sismiques à engloutir, des microbes à inoculer la maladie ? 

A moins d'adopter une attitude en tout point et en toute circonstance anti-interventionniste, il faut bien se résoudre à admettre que la nature prise comme tout n'est pas "bonne en soi", mais qu'elle contient le meilleur comme le pire. Au regard de qui, demandera-t-on ? De l'homme, bien entendu, qui reste jusqu'à preuve du contraire le seul être susceptible d'énoncer des jugements de valeur et, comme le dit la sagesse des nations, de séparer le bon grain de l'ivraie. Il s'agit non pas de nier que la nature puisse être par elle-même belle, utile, ou même "généreuse" (ce qui pose à nouveau la question des limites du cartésianisme), mais seulement de souligner qu'elle ne l'est pas de manière volontaire et constante, comme le serait la divinité en laquelle on veut nous faire croire, et qu'en revanche, c'est toujours nous, les êtres humains, qui devons en dernière instance en décider. Comme en économie, les philosophies de la non intervention supposent la sacralisation de l'harmonie naturelle du monde. Optimisme métaphysique voire mystique, qui rien, malheureusement, ne vient justifier.  

L'homme peut et doit modifier la nature, comme il peut et doit la protéger".

Luc Ferry, Le Nouvel Ordre écologique (1992), Grasset.

 

Commentaires de ces textes

Dans l'écologie profonde, Jules Ferry dénonce le parti pris de ne voir dans la nature que la paix et l'harmonie. Il objecte en particulier le cas des virus, des épidémies, des tremblements de terre qui ne peuvent pas être retenus comme utiles. Dans la logique de l'écologie profonde, poussée à son extrêmité, l'auteur souligne ironiquement le droit des cyclones à dévaster, le droit des microbes à inoculer la maladie. Luc Ferry juge cette philosophie anti-humaniste car elle admet que la nature est bonne en soi, même pour ce qui concerne des évènements naturels nuisibles à l'homme. Ainsi, pour l'auteur, l'homme peut et doit modifier la nature, comme il peut et doit la protéger.

Par contre, Jonas cherche à introduire la nécessité d'une action humaine dont les conséquences ne doivent pas détruire les possibilités pour les générations à venir. Chacun a le droit de risquer sa propre vie mais pas celle de l'humanité. La difficulté de cet impératif n'a aucune justification dans l'instant; L'homme suit une ligne morale sans avoir la réalité des conséquences de cette bonne conduite. D'où la nécessité d'une ligne de conduite, s'appuyant sur une religion, une éthique. La difficulté de cette ligne de conduite morale est que les conséquences ne sont pas immédiates mais portent sur les générations futures et ne concerneront pas l'individu qui suit cette ligne de conduite.

Concernant les espèces dangereuses, si on suit le courant de pensée de Luc Ferry pour qui la nature contient le meilleur comme le pire, l'homme peut et doit agir sur la nature de manière à ce qu'elle soit bonne pour l'homme. La conséquence de ce courant de pensée justifie l'action destructrice de l'homme vis-à-vis des espèces dangereuses. Si on suit le courant de pensée de Jonas, aucune espèce ne peut être détruite actuellement car rien ne permet de dire que ces espèces là ne participeront pas justement au maintien d'une vie authentiquement humaine. 

 

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