Visioconférence avec le Dr. Frithjof Kuepper,

Phycologue à Oban (Ecosse)

Jeudi 16 décembre 2006

Programme de 1ère L.  Impact  des pratiques culturales et d’élevage sur l’environnement - Education pour un développement durable (EDD).

Classe : 1ère L1

 


 

Retranscription de la visioconférence du 16 décembre 2006 entre la classe de 1ère L1 et le Dr. F. Kuepper

 

Lycée Jules Uhry : Pouvez-vous nous expliquer à quoi sont dues les marées vertes ?

Dr. F. Kuepper : J'ai vécu 5 ans en Bretagne Nord à la station biologique de Roscoff pour mes recherches et chaque été survenait le problème des marées vertes : des tonnes d'algues vertes (du genre Ulva) qui se développaient et polluaient certaines plages de Bretagne. Je vous livre un témoignage de mon vécu et de ce que m'ont communiqué les chercheurs qui travaillaient spécifiquement sur le sujet.

L'apparition des marées vertes correspond à une conjonction de plusieurs facteurs naturels mais aussi anthropiques :

- La photopériode, la durée du jour par rapport à la durée de la nuit, est un facteur essentiel à l'apparition des marées vertes. C'est au printemps et en été, entre mai et septembre, lorsque les jours sont longs que les marées vertes apparaissent.

- Le taux de nutriments et en particulier  la concentration en nitrates de l'eau de mer est une composante essentielle et sur laquelle les activités humaines ont largement influées ces dernières décennies. En effet, naturellement, il n'y a pas de grande quantité de nitrates dans les eaux, essentiellement les déjections des animaux dont fait partie l'homme. Actuellement, la Bretagne a développé une politique d'élevage et d'agriculture intensifs. Les nombreux élevages de porcs de Bretagne sont à l'origine de déchets azotés (surtout le lisier - l'urine de porcs) qui sont épandus sur des cultures. Par le jeu des nappes phréatiques, ces nitrates se retrouvent dans les rivières et finalement à la mer, au niveau des estuaires. La nature du sous-sol joue alors un rôle important.

- La nature du sous-sol est fondamental car certaines roches, comme c'est le cas en Bretagne sont volcaniques (des laves) mais surtout plutoniques (des granites). Ce type de roche ne retient, dans sa structure cristalline, aucun des engrais ou pesticides par rapport à des calcaires ou des argiles qui sont des roches filtrantes. Ces dernières retiennent des nitrates et autres pesticides, jouant le rôle de filtre qui a aussi ses limites si les doses de polluants sont trop importantes.

Lycée Jules Uhry : Ce type de pollution aux algues vertes peuvent donc se retrouver dans d'autres régions du monde quand ces conditions sont favorables.

Dr. F. Kuepper : Exactement, d'autres régions comme la Mer Adriatique, la région de Venise par exemple sont victimes de ces marées vertes car les conditions requises pour ces prolifération sont réunies à cet endroit comme dans d'autres. C'est un phénomène beaucoup plus général et global que seulement en Bretagne.

Lycée Jules Uhry : Quelles sont les moyens de lutte contre les marées vertes ?

Dr. F. Kuepper : Actuellement, en Bretagne, c'est surtout une lutte contre les symptômes et pas contre les causes. On ramasse les algues, on évite qu'elles soient une vraie nuisance afin de rétablir la valeur touristique de la région, mais on ne s'attaque pas à la cause même des marées vertes, c'est-à-dire à l'augmentation de la quantité de nitrates des eaux, liée aux élevages porcins et à l'agriculture intensive. C'est une problématique très politique car cette région tire une grande partie de ses revenus de ces élevages et de cette agriculture. C'est un conflit local entre l'agriculture et le tourisme. Je dirais que le problème n'a pas été résolu car les porcheries sont toujours plus nombreuses et qu'aucune mesure limitant l'émission de nitrates n'est mise en oeuvre en Bretagne.

 

Lycée Jules Uhry : Ce travail sur les marées vertes est-il utile pour des phycologues ou est-ce seulement un problème local de pollution algale?

Dr. F. Kuepper : A la suite d'études d'impacts de ces algues vertes, une étudiante de la station biologique de Roscoff a décrit une nouvelle espèce associée à ces proliférations dans les années 1990 : Ulva armoricana : l'Ulve de Bretagne. Cette étudiante, Gwenaelle Coat, a réalisé une étude moléculaire et a séquencé les ITS dans le cistron ribosomique, c'est-à-dire ce qui code les ARN ribosomiques et qui est assez stable. Cette séquence nucléotidique, très différente de celle des ulves connues dans la région lui a permis de décrire une nouvelle espèce car génétiquement éloignée des autres ulves locales.

C'est un problème qui arrive dans de nombreuses régions du monde qui ont des mers avec relativement peu d'échanges, de renouvellements avec la mer : le lagon de Venise ou les lagons de Languedoc. En Mer Adriatique, le lagon de Venise était envahi d'algues de marées vertes et c'était un énorme problème étant donné la valeur touristique de la région : c'est un site classé au patrimoine mondial de UNESCO. Le gouvernement italien a pris des mesures drastiques pour limiter les émissions de nitrates et quelques années après, le taux de nitrates avait chuté de façon spectaculaire. Actuellement, il n'y a plus de marées vertes à Venise. Ceci montre bien que c'est un choix politique et que s'affrontent des intérêts économiques à des intérêts touristiques qui peuvent être gérés par des décisions politiques.

Lycée Jules Uhry : Est-ce qu'en Ecosse vous avez ces marées vertes ?

Dr. F. Kuepper  : Le problème est peu connu en Ecosse : il n'y a quasiment pas d’élevage ni d'agriculture intensifs. Les terres sont trop pauvres et seuls quelques moutons peuvent être élevés localement. Dans le sud de l'Angleterre, en face de la Bretagne, il a été relevé certains phénomènes de marée vertes.

Cependant, il y a un autre phénomène qui est présent en Ecosse concernant les enrichissements en nitrates des eaux de mer. En effet, il y a près des côtes écossaises des élevages de saumons dans des grands filets, en mer. Ce sont les saumons d'élevage que vous trouverez dans les supermarchés pour Noël. Lorsqu'ils sont nourris, ils rejettent, comme tout animal, des déchets azotés (des nitrates) qui passent directement dans l'eau de mer environnante. Autour de ces fermes aquacoles, les taux de nitrates sont bien supérieurs à la normales, ce qui peut provoquer des déséquilibres locaux. Des collègues de laboratoire travaillent sur un projet d'association de cultures d'algues exploitables commercialement (Palmaria palmata, laminaires), associées aux fermes à saumons. Les algues serviraient de capteurs de nitrates, comme engrais naturel en évitant de trop enrichir le milieu en nitrates. Une des solutions pour lutter contre ces excès de nutriments peut donc être la valorisation d'algues alimentaires.