Visioconférence avec Jean-Louis Etienne, en direct de Clipperton


Mardi 5 avril 2005 au CDDP d'Auxerre

Tous les élèves qui ont participé à la visioconfénce et dont des photos apparaissent sur ce site ont donné l'autorisation parentale de publier leur image.

Présentation :

Une visioconférence a été réalisée entre les élèves du réseau Clipperton Auxerre et Jean-Louis Etienne, en direct de Clipperton. En raison du décalage horaire de 8 heures (heure d'été) la visioconférence aura lieu à 15h à Auxerre (7 heures à Clipperton). Les élèves du réseau se sont retrouvés pour la seconde fois (après la rencontre avec Ivan Ineich le 17 mars 2005) rassemblés à Auxerre.


Public présent :

les élèves du Réseau Clipperton Auxerre (RCA).
- Elèves de l’atelier scientifique du collège Albert Camus – Auxerre- (8 élèves de 3ème ).
- Elèves de l’atelier scientifique du collège Jean-Roch Coignet -Courson les Carrières- (12 élèves de 4ème) .
- Elèves du lycée Jacques Amyot –Auxerre- (3 élèves de 1ère S en TPE).

- Monsieur Censier, IA-IPR de SVT de l'Académie de Dijon, responsable académique EEDD (Education à l’Environnement pour un Développement Durable).

- Monsieur Guibert, directeur du CDDP d'Auxerre.

- M. et Mme Laboz, M. Joliton, responsables des aspects techniques (visioconférence et enregistrement vidéo).

- Les enseignants responsables du projet (M. Banton, M. et Mme Dargent).

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15h02 Les élèves sont en place et attendent la connexion 15h06 : Tout le monde est prêt pour recevoir la connexion qui aura lieu quelques minutes plus tard 15h08 Connexion établie entre Auxerre et Clipperton


Organisation :

1. Présentation du réseau à Auxerre –M. Dargent (2 minutes)

2. Présentation par Jean-Louis Etienne (5 minutes)

3. Echanges avec les élèves (30 minutes). en fait deux fois 15 minutes plus une visite de l'île de 5 minutes, en direct, grâce à sa caméra mobile.

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Camille Joubert, élève de 4ème du collège J. R Coignet, dialogue avec Jean-Louis Etienne il est 15h30 à Auxerre.

Réponse de Jean-Louis Etienne depuis son "bureau" de Clipperton. Il est 7h30 du matin sur l'ïle.

Retranscription de la visioconférence avec Jean-Louis Etienne,

Propos retranscrits par Olivier et Géraldine Dargent

1. (Lycée Jacques Amyot - Auxerre) Vos expéditions polaires comme Antarctica, Erébus, Mission Banquise... sont très connues ; pourquoi avoir choisi de partir cette fois-ci sous les tropiques ? Quelles sont les différences et les ressemblances entre une expédition aux pôles et sous les tropiques (contraintes, matériels, objectifs) ? Peut-il y avoir des éléments communs à la biodiversité polaire et celle de Clipperton ?

Le public connaît surtout mes missions polaires, mais en fait, j’ai également participé à un programme sur le corail en 1993. A cette occasion, j’avais eu l’occasion d’étudier le corail en Polynésie, à la suite du phénomène El Nino qui avait atteint considérablement le corail. Je connais donc un peu ces régions et cela ne me pose aucun problème d’alterner entre les régions polaires et les régions tropicales. Il est vrai que la vie, ici sur Clipperton, est beaucoup plus simple et plus facile que sur la banquise. Il y a une ambiance d’expédition vue la difficulté d’accès sur l’île. Nous avons installé sur l’atoll des conditions de vie favorables. C’est une expédition que j’aime beaucoup.

Comme toutes ces régions isolées la biodiversité n’est pas importante, c’est-à-dire qu’il n’y a pas énormément d’espèces, mais par contre chaque espèce est bien représentée. C’est un peu le point commun qu’on peut faire concernant la biodiversité entre Clipperton qui est très loin de l’épicentre de la biodiversité -c'est très isolé à l’Est du Pacifique- et les régions polaires.

 

2. (Collège Albert Camus - Auxerre) Nous avons travaillé sur les espèces introduites /espèces envahissantes dans l'Yonne. Nous avons suivi l'éradication des rats à Clipperton et nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions par mail. Les espèces introduites sont-elles un réel danger pour Clipperton ? A partir de quand décide-t-on qu'une espèce introduite est nuisible ? Toutes les espèces introduites sont-elles nuisibles à Clipperton ?

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Il n’y a pas eu d’éradication du rat, c’était une tentative. Michel Pascal, l’ingénieur de l’INRA de Rennes s’est rendu compte que le rat était omniprésent sur tout l’atoll révélant une présence ancienne alors qu’on pensait qu’il avait été introduit depuis 2000 à la suite d’un échouage de bateau. Le rat mange essentiellement des crabes. Nous en avons tué 150 pour faire des prélèvements, des analyses et des autopsies. Les chercheurs se sont rendus compte que le rat était en très bonne santé, pas du tout parasité. Si on veut l’éradiquer, il faut avoir un vrai programme sur la durée, qui touche l’ensemble de l’île.

Tout est une question d’équilibre. En 2005, on a fait un état des lieux, un inventaire, on a trouvé un certain équilibre. Des espèces sont là depuis longtemps comme les fous, les crabes. Dans les années 60, il y avait très peu de fous masqués, une vingtaine de couples, aujourd’hui ils sont 100000 couples. Il y avait beaucoup de crabes aussi dans les années 1966, d’après ce qu’on peut lire. Aujourd’hui il y en a beaucoup moins. Le rat a été introduit sur l’île ; il est apparemment nuisible pour les crabes, il ne l’est pas pour les fous. Un nouvel équilibre s’est établi. C’est très difficile de dire quelle espèce est préjudiciable. Il est évident que le rat peut être une espèce introduite nuisible. Pour l’instant, il se nourrit de petits crabes. Malheureusement, le rat est un bon nageur et il va aussi sur les îlots qui sont dans le lagon où nichent des oiseaux de mers comme les canards, les pétrels. Le rat est beaucoup plus à l’aise avec ces petits oiseaux qu’il ne l’est avec les fous dont il a peur. C’est la pire des espèces introduites. Il faudra sûrement envisager un jour un programme de dératisation. Très peu d’autres espèces réussissent à s’installer sur Clipperton. C’est un univers très hostile. C’est un milieu très sélectif et à part le rat, il n'y a pas d’espèce nuisible.

 

3. (Lycée Jacques Amyot - Auxerre) Pourquoi un peintre naturaliste fait-il partie de l'expédition à l'époque des photos numériques, des reconstitutions en trois dimensions, avec des couleurs très fidèles ? Est-ce pour maintenir une tradition naturaliste comme au Muséum de Paris par exemple ou y a-t-il d'autres raisons (conservation des photos numériques, rendu des couleurs, valeur patrimoniale, valeur artistique, valeur scientifique…) ?

Le peintre naturaliste est un artiste australien, très connu dans le milieu. Il a un talent pour reconstituer les espèces que nous avons attrapées. Il les peint dans des détails remarquables. Quand on a un tableau d’un peintre naturaliste devant soi, il y a une dimension que l’on ne trouve pas, même dans la photo numérique. D’abord parce que l’animal qu’il peint est isolé du fond. Sur une photo numérique, il y a en général une ombre ou un fond qu’il est difficile d’enlever ou alors il faut le " détourer ". Pour arriver à faire une photo de la même qualité qu’un peintre naturaliste, c’est très difficile, il faut tout éclairer. Le peintre va réaliser chaque millimètre carré de l’animal avec autant de minutie que les autres millimètres carrés. Une photos, il y a toujours une ombre, une zone privilégiée, ça donne plus de relief peut être mais on a moins de détail. C’est toujours très prisé dans une expédition scientifique. Quand on voit ce qu’il voit, on se dit " tiens je n’avais rien vu ". C’est très instructif. Ce n’est pas de l’hyperréalisme, c’est un dessin extrêmement détaillé qui donne à l’animal que vous avez sous les yeux devant la planche à dessin, une vie, une présence que ne donne jamais la photo.

 

4. (Collège Jean Roch Coignet - Courson les Carrières) Vous jouez un rôle de coordonnateur des missions. Avez-vous coordonné chaque équipe de spécialistes dans leur problématique individuelle ou est-ce que plusieurs spécialistes travaillaient ensemble dans une approche écologique, environnementale globale (chimistes, biologistes, géologues...) ? Les résultats de votre mission seront-ils publiés globalement sous la forme d'une publication bilan ?

Mon travail sur Clipperton a été de coordonner le travail des chercheurs. Je ne suis pas un scientifique de terrain, je n’avais pas de programme de recherche. Ici, j’ai fais quelques manips de mesure pour des laboratoires qui me les avaient demandées. Cette expédition, c’est une idée personnelle, c’est moi qui ai trouvé les moyens pour la financer, et quand j’en ai parlé aux institutions de recherche comme le Muséum, l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, l’IRD, le CNRS, des listes de chercheurs se sont constituées. Mon travail a été de les coordonner mais il était impossible de les accueillir tous en même temps. Ils sont venus par groupes de 6 ou 8 avec le bateau, le Rara Avis tous les 12 jours. Mon travail a été d’assurer la logistique de chaque chercheur, tant terrestre que sous – marine. Cela a été mon travail quotidien pendant 4 mois. Quand on est avec 25 personnes sur une île déserte il y a tout un ensemble de choses à organiser et à faire pour que la vie communautaire soit la plus fluide en désamorçant les conflits, parce qu’il y en a tout le temps.

 

5. (Collège Albert Camus - Auxerre) Les îlots inhabités comme Clipperton existent-ils ailleurs dans le monde ? Pensez-vous explorer d'autres îles comme les îles Eparses dans l'Océan Indien ? Quelle sera la suite de cette mission de 4 mois ?

Des îles désertes existent surtout dans les régions polaires, beaucoup plus que dans les régions tropicales qui sont pratiquement toutes habitées. Les îles inhabitées, comme les îles Eparses sont fréquentées par les militaires, des légionnaires, qui surveillent les zones surtout à proximité de la Réunion dans le canal du Mozambique parce qu’il y a une logistique facile depuis la Réunion. Sur Clipperton, il n’y a personne, c’est une île qui est très loin de tout. Une île comme ça en Polynésie serait habitée. C’est difficile d’assurer une logistique à Clipperton. Je ne crois pas que Clipperton soit un jour habitée, par contre, on peut souhaiter qu’il y ait à Clipperton une présence minimale de manière à maintenir des équipements de mesure de recherche et une surveillance sur cette île qui gagnerait à être protégée.

 

6. (Lycée Jacques Amyot - Auxerre) Entraîner vos enfants si jeunes, comme vous l'avez fait, paraît être une aventure. De notre côté, nous avons été sensibles à ce que des enfants soient embarqués avec vous . Selon vous qu'est ce que cela à pu leur apporter ?

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Elsa, ma femme, travaille avec moi sur cette expédition depuis le début. Nous avions décidé que cette mission se ferait en famille d’autant plus que nos enfants sont tout petits, ne sont pas scolarisés et peuvent facilement se déplacer. C’est une île perdue mais nous y avons emmené tout le confort de vie pour l’hygiène et nous avions même un petit hôpital. Je suis moi-même médecin et nous avions aussi un médecin anesthésiste réanimateur, spécialiste de la plongée. Bien sûr, il était impossible de faire une évacuation sanitaire en urgence si il y avait un gros problème. Il fallait attendre le bateau. Actuellement, nous avons la visite d’un petit bateau de 13 mètres, une famille américaine avec deux enfants de 4 et 7 ans.

Pour mes enfants, cela a été une transformation considérable. Comme tout voyage, ça amène un déséquilibre, une rupture dans le quotidien et donc ça amène à faire appel à de nouveaux comportements, de nouveaux apprentissages. C’est valable pour les enfants comme pour les adultes. Mon fils Ulysse a fait son stock de vitamine D confortablement cet hiver et Eliot en vivant en communauté est devenu très autonome et sociable, bricoleur, beaucoup plus inventif,   il a dû inventer ses propres jouets. Il ne gardera pas de souvenirs précis de Clipperton mais il gardera l’apprentissage de deux choses importantes, la sociabilité et l’autonomie.

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Liaison Auxerre Clipperton au cours de la visite de l'île par Jean-Louis Etienne

Vue générale et crabe en direct de Clipperton

7. (Collège Jean Roch Coignet - Courson les Carrières) Vous relatez dans votre journal de bord les visites de plusieurs thoniers dans les eaux territoriales de Clipperton. Comment se sont passées vos rencontres avec les capitaines des thoniers? Ont-ils modifié leurs habitudes de pêche ? Que leur avez-vous dit? N'ont-ils pas perçu votre présence comme une menace de leur liberté de pêcher ?

Les thoniers que nous avons rencontrés sont restés à distance. Nous n’avons pas parlé avec les capitaines. Une seul équipage est venu dans cette zone très poissonneuse. Les méthodes de pêche sont très efficaces et ne laissent aucune chance aux thons. Ils réalisent un repérage par hélicoptère, mettent des épaves flottantes où se réunissent en général les poissons. Ils ont des balises argos et des sonars qui leur permettent d’estimer l’épaisseur du banc de thons. C’est une chasse très efficace pour les pêcheurs mais qui est très préjudiciable pour l’avenir des thons autour de Clipperton. La principale menace environnementale de l’île est la sur-pêche qui est préjudiciable pour les espèces de Clipperton et en particulier pour les oiseaux marins qui dépendent de ces richesses-là. Il faut espérer que Clipperton devienne une zone classée, une zone protégée de manière à ce que la pêche soit contrôlée. Il ne s’agit pas d’interdire la pêche mais que le taux de prélèvement de pêche soit inférieur ou équivalent au taux de reproduction des espèces. Cela s’appelle le développement durable.

 

8. (Lycée Jacques Amyot - Auxerre) Quelle est votre définition du développement durable ? Comment votre mission à Clipperton permet-elle de servir la cause de l'environnement ?

Le développement durable, il faut espérer que ce ne soit pas qu’une mode parce que si ce n’est pas durable, la vie ne sera pas non plus durable. L’ensemble des espèces sur Terre vivent en cohabitation. Nous dépendons tous les uns des autres. La vie est une grande mutuelle où chacun à sa place, où chacun apporte sa contribution à l’équilibre général. Il est important de respecter la biodiversité, c’est-à-dire la diversité des espèces. La vie ne sera durable que si on respecte cet équilibre. L’équation qui est à résoudre à l’heure actuelle est une poussée démographique, une montée de la population mondiale, ensuite une industrialisation et une augmentation de la consommation de cette population dont de plus en plus ont accès à cette consommation. Bien sûr, il y a beaucoup de pauvres encore mais de plus en plus de personnes s’installent dans l’industrialisation, dans la commercialisation, dans les ressources et ont de plus en plus de besoins. Il va falloir trouver la juste mesure entre le développement de la démographie, le développement de cette population, de ses besoins en énergie et en ressources et les capacités de la Terre à générer ces ressources, à régénérer ce que nous lui prenons et à maintenir cet équilibre. C’est une équation délicate mais c’est un sujet très intéressant car il arrive à un moment clé de l’humanité. Il y a eu une accélération prodigieuse dans la technicité dans la vie de tous les jours. Nous sommes en pleine ère industrielle depuis deux siècles et nous entamons une autre ère où il va falloir satisfaire les besoins d’une grande population. Il faut trouver de nouvelles ressources énergétiques, de nouveaux produits. Bien sûr c’est inquiétant mais le challenge est intéressant. Ce qui est important est de savoir que nous avons les solutions techniques, que ce qui est difficile c’est de les mettre en place, qu’il y a un grand déséquilibre entre le nord et le sud, entre les habitudes de consommation des américains et des européens par exemple. Il y a une challenge mondial à réussir. L’environnement est un métier d’ingénieurs, de légistes, c’est un métier qui a un grand avenir. Il est important que votre génération soit éduquée à l’environnement. Celles de vos parents et de vos grands-parents n’ont pas connu ce souci écologique. Celle de vos parents l’on révélé. Il y a trois décennies que le souci écologique imprègne pratiquement toutes les consciences et on est à la phase où il faut commencer à mettre en place des actions sans concession. Pour cela il faut que ce soit fait en connaissance de cause et avec un esprit neuf. Vous, la jeunesse, vous avez un esprit neuf. Vous n’êtes pas encore pris dans des processus politico-administratifs qui font que le rôle des politiques est toujours délicat. Un homme politique administre l’ensemble d’une population et c’est important d’être formé au souci environnemental très jeune et c’est une raison pour laquelle je réalise ce programme. Vos enseignants le font très bien, moi je suis un instituteur du bout du monde occasionnel. J’essaie, à travers mes expéditions, de faire connaître les forces et les fragilités planétaires de l’extérieur. Je crois que ce qui sauvera la planète est le développement du sens civique environnemental qui est de la même nature que l’éducation civique : c’est simplement le respect de l’autre.

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