Visioconférence avec Ivan Ineich,

herpétologiste au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris

Mercredi 24 mai 2006 / 10-11h

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Ivan Ineich au cours de la conférence devant les élèves du projet Clipperton

Les élèves participant au Projet Educatif et Culturel " Espèces dangereuses mises en danger par l'Homme " ont préparé les questions, géré les aspects techniques et la visioconférence a eu lieu devant l'ensemble de la classe de seconde 10 dans la partie thème au choix " Préservation de la biodiversité " du programme de seconde.

Aspects techniques :

La visioconférence a eu lieu le mercredi 24 mai 2006, de 10h. à 11h. en salle E 219 du lycée Jules Uhry. Un simple ordinateur relié à Internet a été utilisé. Une webcam, des casques écouteurs, des enceintes plus puissantes et  un vidéo projecteur ont complété le dispositif technique. Le logiciel de communication utilisé est skype. Les essais réalisés ont permis de faire ce choix par rapport à d'autres logiciels de visioconférence comme MSN messenger, Yahoo messenger ou Netmeeting

 

Présentation d'Ivan Ineich

Ivan Ineich est professeur au Muséum National d'Histoire Naturelle, spécialiste des reptiles. Ses missions le mènent dans le monde entier pour inventorier, décrire les reptiles, en particulier tropicaux. Un de ses champs favoris concerne les serpents marins de Nouvelle Calédonie.

Il avait déjà accepté de participer au projet pédagogique Clipperton en venant faire un exposé devant les élèves. Merci à Ivan Ineich de renforcer sa collaboration dans ce nouveau projet sur les espèces dangereuses.

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Retransciption de la visioconférence du 24 mai 2006

 

Visioconférence entre Ivan Ineich et la classe de seconde 10 (24/05/06)

 

Lycée J. Uhry : Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur les serpents ?

Ivan Ineich : J’ai commencé à travailler sur les lézards du Pacifique en cherchant comment ces lézards se déplaçaient d’une île à l’autre. Ensuite un poste s’est libéré au Muséum de Paris. Ce poste me permettait de poursuivre mon travail sur les lézards mais comportait une autre obligation, celle d’assurer une permanence sur les serpents.

 

Lycée J. Uhry : Comment étudier les serpents? Votre travail vous permet-il de voyager ? Pouvez-vous nous parler des serpents de Nouvelle-Calédonie ?

Ivan Ineich : Certains scientifiques étudient l’écologie des serpents, c’est-à-dire comment ils vivent, comment ils se reproduisent, comment ils s’alimentent, quels sont les différents types d’habitats qu’ils choisissent.

D’autres scientifiques étudient plus leur physiologie en réalisant des dosages hormonaux dans le sang pour savoir si au moment de la reproduction, la concentration de certaines hormones varie.

Un troisième groupe de scientifiques étudie la systématique des serpents, c’est-à-dire la façon dont les espèces sont rangées, sont classées, sont nommées. Dans ce cadre- là, on peut décrire de nouvelles espèces. Plus d’une centaine d’espèces nouvelles sont décrites chaque année dans le monde. De mon côté, il m’arrive de voyager dans le monde entier soit pour faire des inventaires, soit pour décrire de nouvelles espèces. Après ce travail de terrain, je réalise des publications scientifiques de manière à mettre à la disposition des autres spécialistes de reptiles, les herpétologistes, mes travaux de recherche.

La Nouvelle Calédonie , comme la grande majorité des îles du Pacifique Sud n’ont pas de serpents terrestres. Aux îles Fiji, on ne trouve qu’une seule espèce de serpent terrestre. Par contre, en Nouvelle Calédonie, on trouve une quinzaine d’espèces de serpents marins. Les îles de la Loyauté , à l’Est de la Nouvelle Calédonie possède quand même un serpent terrestre, le boa de Pacifique.  Sur les îles, toutes les espèces viennent de l’extérieur. Ce sont des espèces introduites soit au moment des cyclones, soit sur des radeaux, soit par l’homme. Cela pose parfois  le problème des espèces introduites, des espèces envahissantes. Dans le monde entier, les espèces envahissantes posent des graves problèmes car elles provoquent de graves dégâts sur place.

 

Lycée J. Uhry :Avez-vous déjà été mordu par un serpent ? Pouvez-vous expliquer dans quelles circonstances certaines personnes ont été mordues ?

Ivan Ineich : Il n’y a que 10 % des serpents qui sont venimeux dans le monde. Parmi ceux qui sont venimeux, il n’y a qu’une vingtaine d’espèces qui sont réellement dangereuses. Les autres sont venimeuses, c’est-à-dire qu’elles possèdent un venin mais elle ne mordent pas, elles sont peu agressives.

Durant mes missions, je manipule beaucoup de serpents, parfois venimeux, mais je ne me suis jamais fait mordre, tout simplement car je fais très attention. Certains de mes collègues, dès qu’ils ont un serpent en mains, pour peu qu’ils aient des spectateurs autour, un peu pour  frimer, faire le malin prennent des risque et peuvent se faire mordre par imprudence. Manipuler un serpent dangereux ne doit se faire qu’en cas d’extrême nécessité.

Pour la Nouvelle Calédonie , il existe un groupe de serpents marins amphibies qui passe la moitié de leur vie en mer et l’autre moitié sur terre. Bien que ces serpents soient  très venimeux,  ils ne sont absolument pas dangereux à manipuler car peu agressifs.

Cependant, de nombreux amis se sont déjà fait mordre par des serpents et j’ai même un collègue américain qui s’est fait mordre par un tout petit serpent très venimeux qu’il avait confondu avec une couleuvre. Dans la forêt, à deux jours de marche du centre de soin, il est décédé avant d'arriver au centre du soin. Un autre de mes collègues s’est fait envenimer en Grèce. Il a mis le pied sur une vipère comme on le fait classiquement pour l’immobiliser mais le serpent a réussi à se dégager dans le sable meuble et à le mordre au mollet.  

 

Lycée J. Uhry : Quelles sont les espèces les plus dangereuses en France et dans le monde ?

Ivan Ineich : La dangerosité et l’agressivité ne sont pas toujours liées. Certaines couleuvres sont très agressives mais absolument pas venimeuses, c’est de l’intimidation. Inversement, certain serpent très venimeux peuvent ne pas être agressifs du tout. En France, les deux espèces les plus dangereuses sont des vipères. Il faut savoir qu’il n’y a qu'une à deux morsures de vipère par an en France. Les accidents liés à la chasse sont plus de cinquante fois supérieurs, sans parler des accidents de la route ou des complications liées à des piqûres de guêpes. En France, le risque de morsures de serpents est quasi inexistant. La couleuvre de Montpellier qui est le plus grand serpent de France peut être dangereux mais n’a jamais été impliqué dans une envenimation.

Dans le monde, il existe quatre grandes familles de serpents dangereux, la famille des Vipéridés (les vipères), les Elapidés (cobras, les manbas et les serpents marins), les Colubridés (les couleuvres), les Atractaspilidés (des serpents fouisseurs). Parmi ces quatre familles, c’est la famille des Elapidés qui est la plus dangereuse avec le Taïpan qui est un serpent australien qui a assez de venin pour tuer plus de 100 000 souris blanches. Le venin des serpents marins est très toxique car ils se nourrissent de murènes qui sont des animaux à sang froid qui ont un métabolisme très lent. Ainsi le serpent doit injecter une forte dose de venin pour immobiliser sa proie.

 

Lycée J. Uhry :Comment considérez-vous les serpents venimeux? Avez-vous déjà eu peur devant un serpent ? Vos amis ou votre famille a –t-elle peur de vous voir travailler sur les serpents ?

Ivan Ineich : On s’est longtemps demandé si la fonction venimeuse était destiné à permettre à ses animaux de s’alimenter ou à leur permettre de se défendre. La vipère d’Orsini, contrairement à la vipère aspic ou la vipère péliades, qui elles, sont dangereuses, n’est pas dangereuse car elle a des crochets très petits. En effet, cette vipère ne se nourrit que de sauterelles et les crochets ont régressé, comme pour la toxicité de son venin. Ce qui montre bien que si le rôle du venin était la défense, cette vipère aurait gardé des crochets développés et un venin très toxique. Dans ce cas, c’est une adaptation à la nutrition.

Ivan Ineich : Mon entourage a effectivement peur de me voir travailler sur ces serpents mais je suis très prudent et les risques pris sont toujours calculés. Pour manipuler des serpents venimeux, on utilise des pinces. Le plus dangereux est l’étude des serpents venimeux lorsqu’on est à  2- 3 jours de marche du centre de soin. Une envenimation peut alors être fatale.

 

Lycée J. Uhry : Est-il possible de soigner des serpents malades ? Cala se fait-il ?

Ivan Ineich : En France, dans les pays riches, il y a une passion pour les serpents, pour la térariophilie. Certaines personnes aménagent dans une tour à Paris ou dans leur pavillon une pièce pour maintenir en captivité un reptile, une araignée, une tortue. Ces gens payent très cher pour ces serpents (plusieurs milliers d’euros parfois) et lorsque ces serpents tombent malades, ils font appel à des vétérinaires spécialisés. Il n’existe d’ailleurs qu’une dizaine de vétérinaires en France capables de soigner des serpents. Il existe toute une panoplie de médicaments, des antibiotiques, des bactéricides, et il est même possible de réaliser des opérations chirurgicales. Il arrive d'ailleurs assez souvent chez les serpents qu’il y ait une rétention d’oeufs (les oeufs sont bloqués dans les voies génitales et ne peuvent être pondus par le serpent) et il faut alors enlever ces oeuf chirurgicalement sinon, le serpent peut mourir.

 

Lycée J. Uhry : Certains serpents domestiques et dangereux peuvent-ils s'échapper, comme ça a été le cas à Creil il y a quelques années ? Que pensez-vous des gens qui collectionnent les serpents dangereux ? 

Ivan Ineich : Les gens qui collectionnent les serpents sont des passionnés. J’avoue ne pas être favorable à cette pratique car il y a assez d’animaux domestiques pour ne pas collectionner les animaux dangereux. Les citadins ont besoin d’avoir un contact avec la nature, donc des animaux domestiques. La grande majorité des gens qui ont ces animaux connaissent très bien leurs animaux, ils se documentent, prennent soin d’eux et les nourrissent correctement. Il arrive malheureusement que certaines personnes achètent un serpent par coup de cœur mais sont négligents pour s’en occuper.

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En ce qui concerne les serpents venimeux, la législation est très sévère et un certificat de capacité est obligatoire pour détenir un serpent venimeux. C’est la direction des services vétérinaires en collaboration avec la préfecture qui assure le suivi du dossier et le passage du candidat devant une commission. La commission est très sévère et les gens doivent donner toutes les garanties pour de bonnes conditions de captivité. En particulier les pièces doivent être hermétiques avec des cages correctement fermées avec des indications sur la cage... Si un incendie se déclare dans l’immeuble, les pompiers doivent savoir auprès de la préfecture où se trouvent les serpents dangereux,  combien ils sont, qui ils sont. Pour une personne qu’on aurait pas vu depuis plusieurs jours, si on ouvre son appartement, il faut savoir à quoi s’en tenir par rapport à ces serpents venimeux.   

Concernant les fuites de serpents, c’est très fréquent. Les serpents sont les rois de l’escapade. Un très gros serpent peut passer par un très petit trou. Une femelle gravide peut aussi donner naissance à de petits serpents qui peuvent alors s’échapper, sans que le propriétaire ne s’apercevoir que la femelle a eu ses jeunes. Il ne faut pas croire que les jeunes ne soient pas dangereux. Au contraire, leur venin est souvent beaucoup plus toxique car les jeunes ont des proies différentes des adultes. Les jeunes se nourrissent parfois de lézards et ont donc besoin d’un venin  très toxiques pour maîtriser ces lézards alors qui les adultes qui se nourrissent de rongeurs ont besoin d’un venin beaucoup moins toxique.

Les espèces collectionnées sont souvent des espèces tropicales et si elles s’échappent l’hiver, elles meurent rapidement de froid et le danger est restreint. Il arrive aussi que les gens achètent des animaux très jeunes et petits. Lorsqu’ils deviennent adultes, ces serpents peuvent mesurer plusieurs mètres et devenir dangereux. C’est ce qui s’est passé pour la tortue de Floride qui est vendue comme un jouet de quelques centimètres. Lorsque la tortue grandit, elle devient agressive, sent mauvais et les gens s’en débarrasse dans la nature de façon incontrôlée. Cette tortue a éliminé dans de nombreux endroit la tortue endémique, la Cistude. C’est devenu une espèce envahissante.

 

Lycée J. Uhry : Protégez-vous d'autres espèces que les serpents ?

Ivan Ineich : Comme tous mes collègues du Muséum, je suis très sensible à l’érosion de la biodiversité, c’est-à-dire à la réduction du nombre d’espèces dans le monde, surtout liée à l’élimination des milieux naturels.  Il faut savoir que la volonté principale pour essayer de réduire cette perte de biodiversité est une volonté politique. Cependant, chaque citoyen peut agir individuellement en boycottant certains produits exotiques, ne pas acheter certains oiseaux ou certains reptiles dans les magasins. On peut très bien avoir un chien ou un chat plutôt que de faire venir des animaux exotiques qui ont été prélevés de leur milieu naturel. Les consommateurs sont des moyens de pression très efficaces. Quand on s’y met tous pour boycotter un produit, l’action est très efficace. Regarder les OGM en France, les consommateurs refusent encore ces OGM et empêchent leur développement. Certaines associations de protection de la nature peuvent demander à leur millier de membres de boycotter certains produits en diffusant des informations. Les producteurs et les firmes ont souvent dû modifier leurs habitudes sous la pression des consommateurs. 

Chaque ressource naturelle exploitée par l'homme n’est pas inépuisable, on est obligé de la gérer. C’est la responsabilité de chacun de faire très attention à ce que vous manger, ce que vous buvez, à ce que vous faites. On peut ne pas consommer certains produits lorsque l’on sait qu'ils ont été obtenus dans des conditions non respectueuses de l’environnement ou non respectueuse de l’espèce humaine, en particulier pour le travail des enfants.

Lycée J. Uhry : Dans les villes, les zones touristiques comme en Nouvelle Calédonie, la présence de serpents venimeux doit-elle être régulé en éliminant les serpents dangereux ou au contraire faut-il apprendre à vivre avec ces serpents ?

Ivan Ineich : Il faut vivre avec les serpents ; l’homme ne peut pas sans arrêt modifier l’environnement et éliminer tout ce qui le gêne, tout ce qui est dangereux pour lui. Lorsque l’on élimine certaines espèces, les répercussions sont souvent beaucoup plus importantes que prévues. La construction d’un barrage a pu provoquer la prolifération de moustiques qui ont transmis des maladies très graves.

Les villages africains attirent énormément de rongeurs qui sont les proies des serpents. L’élimination n’est pas possible mais l’éducation des gens doit permettre d’éviter les morsures, comme d’éviter de marcher la nuit, de soulever les branchages, les herbes sèches. Les sérums anti-venins ont fait des progrès tant pour leur prix que dans leur mode et leur temps de conservation. 

A Nouméa, la capitale de Nouvelle Calédonie, on peu voir des serpents marins en se baignant. Ces serpents, appelés serpents à tête de tortue se nourrit uniquement d’œufs de poisson et sont inoffensifs. En Nouvelle Calédonie, les morsures sont rares, pas plus de 5 graves ou mortelles  au cours du dernier siècle. Actuellement, il existe un sérum très efficace contre ces morsures de serpents marins de Nouvelle Calédonie. On ne peut pas éliminer les serpents mais l’éducation, la prévention doit être privilégiée. On peut dire aux populations « attention, si vous voyez un serpent venimeux, ne craignez rien, n’essayez pas de l’approcher ni de le manipuler, vous risqueriez de vous faire mordre mais n’ayez pas peur".

 

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